Quel est l'impact de la COVID-19 sur l'éducation dans le monde? Myriam Gallio, Secrétaire générale adjointe d'Enfants du Monde, partage son point de vue et nous parle de la manière dont l'association a adapté ses programmes.
Quelle est la situation aujourd’hui dans les pays d’intervention d'Enfant du Monde touchés par la crise de la COVID-19 ?
Myriam Gallio, Secrétaire générale adjointeLa COVID-19 a généré une crise globale de l’éducation, qui a affecté encore plus durement les pays au système éducatif déjà fragile : les fermetures d'écoles ont ainsi touché 99 % des élèves dans les pays à faible revenu, contre 94% au niveau global. Dans nos pays d’intervention, le Burkina Faso, le Guatemala, le Niger et le Tchad, l’éducation offerte aux enfants les protège contre les abus tels que le travail forcé ou le mariage précoce et leur offre de véritables perspectives d'avenir. Les fermetures d’écoles ont ainsi des répercussions sur l’apprentissage, mais aussi sur le bien-être et la sécurité des enfants, et sur l’accès à des services scolaires essentiels comme les cantines scolaires et la vaccination. Aujourd’hui, cette crise aggrave également les inégalités en réduisant les possibilités pour les plus vulnérables - ceux qui vivent dans des zones pauvres ou rurales, les filles, les réfugiés, les enfants appartenant à des minorités - de poursuivre leur apprentissage, notamment en raison de la fracture numérique. En effet, toutes les familles n’ont pas le même accès à la technologie. Les solutions proposées doivent donc être adaptées au contexte.
Au Niger par exemple, les solutions d’apprentissage à distance utilisant Internet ou même la télévision ne sont de loin pas accessibles à tous. Les enfants avec moins de moyens financiers, peu de matériel et une mauvaise connexion, peuvent ainsi se retrouver en marge d’un système éducatif qui reposerait sur les nouvelles technologies.
Au Tchad, le ministère a mis en place un programme d’enseignement par la radio et la télévision, sur 8 semaines, pour les élèves des classes d’examen bien que bon nombre d’élèves du milieu rural ne disposent ni d’une télévision ni d’une radio.
En Suisse, mon fils de 9 ans a bénéficié de multiples canaux pour l’apprentissage à distance durant la période de confinement - groupes WhatsApp, devoirs envoyés par la poste, plateforme sur Internet, réunions hebdomadaires de suivi par Zoom. Tout cela est inimaginable en contexte africain. De manière générale, peu d’enseignants dans les pays en voie de développement bénéficient de bonnes conditions pour pratiquer un enseignement à distance (espace adéquat, connexion Internet, etc.), et les attentes qui pèsent sur eux peuvent générer des sentiments de stress et d’impuissance.
L’apprentissage à la maison représente également un défi immense pour les parents et les personnes qui s'occupent des enfants. Souvent les parents, eux-mêmes illettrés, ne sont pas en mesure d’accompagner leurs enfants dans cette phase d’apprentissage. Quant aux enfants, on attend d’eux qu’ils partagent leur journée entre tâches domestiques et travail scolaire et leur situation est donc très différente que lorsqu’ils fréquentent l’école, cet espace protégé et dévoué à l’apprentissage et à la socialisation.
Quelles sont les solutions mises en place par Enfants du Monde pour permettre aux enfants de poursuivre leur apprentissage et de retourner à l’école ?
En plus de la fermeture des écoles, beaucoup d’autres activités de nos programmes d’éducation (formation d’enseignants par exemple) ont été affectées et ont dû être repensées, réaménagées. Ceci a demandé beaucoup de flexibilité et de créativité. Pendant cette période on peut distinguer deux phases principales.
Tout d’abord pendant la fermeture des écoles, nous avons cherché à maintenir au maximum le lien entre l’école et l’élève, pour réduire les risques d’abandons scolaires : au Burkina Faso par exemple, nos partenaires ont mis en place des groupes d’études permettant aux élèves, par petits groupes, de faire leurs devoirs en étant encadrés par leur enseignant.
Studio radio à Alta Verapaz, GuatemalaEnfants du Monde soutient des solutions d’apprentissage à distance, par exemple au Guatemala où les écoles sont fermées depuis le mois de mars. Nous appuyons le Ministère de l’Education dans la création d’émissions de radio bilingues pour assurer la continuité pédagogique. Les contenus sont développés en espagnol et en langues mayas pour assurer un accès également aux populations indigènes. Des guides d’apprentissage ont aussi été conçus pour faciliter le travail en autonomie à la maison.
Au Tchad, Enfants du Monde a mis en place des formations à distance pour des formateurs d’enseignants, des inspecteurs pédagogique et des enseignants en s’adaptant à la situation. Les contenus de formation, enregistrés sur des cartes mémoires et des clés USB, ont été mis à disposition de ces acteurs, afin d’éviter les contraintes liées aux connexions internet peu fiables.
Malgré toutes les stratégies mises en place, des décrochages scolaires ont été observés notamment au Niger où un enfant sur dix fréquentant les écoles alternatives que nous soutenons ne s’est pas représenté lorsque les écoles ont rouvert, la réouverture coïncidant avec la saison des travaux agricoles pour lesquels tous les membres de la famille sont mobilisés.
Aujourd’hui Enfants du Monde appuie la réouverture des écoles. Nous mettons tout en place pour assurer une rentrée dans le respect des gestes barrières avec l’approvisionnement des écoles en dispositifs de lavage des mains, savon, masques,f etc. et en formant les enseignants à l’importance du respect des mesures pour enrayer la pandémie, ceux-ci formant à leur tour les élèves. Du matériel scolaire portant sur la transmission et la prévention de maladies virales a également été élaboré pour permettre l’appropriation de connaissances essentielles à ce sujet par les élèves.
Au niveau pédagogique, nous avons aidé à mettre en place des programmes de rattrapage pendant l’été pour que les enfants puissent combler les retards accumulés dans leurs apprentissages. Au Niger, les écoles ont rouverts le 1er juin 2020 et sont restées ouvertes jusqu’à mi-juillet, permettant aux écoliers de clore leur année scolaire et de passer leurs examens. Au Tchad, malgré les efforts de réaménagement, l’année scolaire 2019-2020 n’aura compté que 26 semaines effectives de cours, au lieu de 36 normalement. Cette situation aura inévitablement des conséquences la qualité des apprentissages.
Qu’as-tu retenu de cette période COVID-19 ?
Cette crise a certainement stimulé l'innovation dans le secteur de l'éducation. Nous avons développé des approches innovantes en faveur de l'éducation et de la continuité de l’apprentissage, en utilisant par exemple la radio et des programmes d’auto-apprentissage à la maison. Elle nous enseigne également que la technologie n’est pas une panacée et qu’il n’existe pas une solution unique, mais plutôt de multiples solutions qui doivent être flexibles et adaptées au contexte. Enfin, cette période de fermeture des écoles nous démontre le rôle fondamental que joue l’école au sein d’une société, comme lieu d’apprentissage bien sûr mais aussi comme lieu de promotion de la santé, de la cohésion sociale, et de protection de l’enfance.
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