Le Dr. Philip Jaffé est membre du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies depuis juin 2018. Docteur en psychologie et professeur à l'Université de Genève, il participe à des actions d'Enfants du Monde en faveur des droits de l’enfant.

Dr Philip JafféComment est né votre engagement en faveur de la protection de l’enfance ?

Philip Jaffé: De retour du Massachusetts (avec une expérience marquante dans un hôpital psychiatrique pénitentiaire de haute sécurité) à Genève, mes supérieurs académiques ne voyaient pas d’un bon œil des cours sur la violence extrême et la psychopathie. Nous étions à une époque antérieure à toutes les séries télévisées dédiées aux profileurs du FBI et aux médecins légistes épinglant des criminels tous plus sanguinaires les uns que les autres. J’ai eu la grande chance que l’on m’assigne l’enseignement de la psychologue légale de l’enfant et je me suis rattrapé en m’engouffrant dans l’étude des maltraitances infantiles et surtout sexuelles. En même temps, au début des années 90, une certaine Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant venait d’être ratifiée… et de fil en aiguille…

En quoi les recommandations faites par le Comité peuvent-elles influencer les politiques nationales des pays en matière de droits de l’enfant?

Ph.J: Cela dépend des pays et des politiques. Par exemple, la Suisse est plutôt bonne élève… un peu malgré elle, car notre pays a des moyens et une administration redoutable d’efficacité en comparaison avec la plupart des pays, dont certains mêmes très proches. De manière générale, la plupart des pays prennent au sérieux les recommandations et n’aiment pas se représenter par devant le Comité des droits de l’enfant sans faire état de progrès. Mais certains il est vrai ne sont pas particulièrement diligents et d’autres encore n’ont pas les ressources nécessaires pour investir dans des programmes sociaux. Sachez que l’un des leviers essentiels de tout changement positif est le rôle de la société civile, des ONGs, qu’elles soient nationales ou internationales. De manière générale, les pays qui tolèrent, soutiennent et alimentent leur propre société civile œuvrent le plus et le mieux en faveur de leurs enfants!

Pouvez-vous nous donner un exemple d’une recommandation formulée à la Suisse et comment a- t-elle été mise en œuvre ?

Ph. J: Le moins que l’on puisse affirmer est que les changements prennent du temps et obéissent à la formule bien helvétique de la concertation de tous les milieux administratifs et politiques concernés au niveau fédéral et cantonal. Un bon exemple concerne le droit pour les enfants privés de liberté d’être séparés des adultes (art. 37). À la ratification de la Convention des Droits de l'Enfant en 1997, la Suisse a émis une réserve à l’alinéa c de cet article, ne pouvant pas garantir cette séparation dans toutes les institutions de privation de liberté de tous les cantons. Aujourd’hui, il est à peu près certain que la séparation est acquise partout, mais avant de retirer formellement la réserve et de répondre positivement à la recommandation répétée à plusieurs reprises, la Suisse souhaite encore réaliser un état des lieux. Donc, on est à bout touchant, mais encore un peu de patience… Dans un tout autre domaine, la Suisse est plutôt proactive pour ce qui concerne l’encouragement de l’écoute et de la participation des enfants sur toute question qui les concerne directement et indirectement et cette recommandation fait l’objet d’initiatives plutôt encourageantes.

Selon vous, quels sont encore aujourd’hui les principaux défis dans le domaine des droits de l’enfant ?

Ph. J: Cela dépend de la focale. Dans certaines régions, par exemple, le combat pour la survie des enfants est encore une priorité… santé maternelle, alimentation suffisante, vaccinations… Partout dans le monde la violence sous des formes diverses à l’encontre des enfants reste un fléau. Dans un autre registre, la discrimination à l’égard des filles doit rester une priorité. Et puis, tous les Etats parties doivent à divers degrés réformer leurs structures administratives et politiques, introduire une culture des droits de l’enfant, accueillir leur participation authentique dans la société. Les défis ne manquent pas, sans parler de ceux que les enfants eux-mêmes nous implorent d’empoigner sur la question de la crise climatique et de la préservation de l’environnement.